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Double projet : le maillon faible de l’INSEP ?

Hugo Castagnède

L’INSEP* est considéré comme la référence française en matière de sport olympique. La formation de ses pensionnaires se partage entre sport et études, une combinaison censée faire sa force qui pourrait constituer son talon d’Achille.
*Institut national du sport, de l’expertise et de la performance
« Je me forme, je m’entraîne, je vis »
L’INSEP est le seul véritable pôle français qui forme l’élite des athlètes tricolores. Un rôle que l’organisme prend à bras le corps : sur la devanture du campus, on lit « INSEP, terre de champions ». (Crédit photo : leparisien.fr)

Allier sport et études, l'INSEP en fait sa marque de fabrique. Il faut dire que la réglementation nationale oblige le double projet pour les zones scolaires sportives de haut niveau. L’idée est de construire un centre dans lequel les fédérations envoient leurs meilleurs éléments pour qu’ils bénéficient de trois grands pôles d’activité. Un lieu de formation (salles de classe), un lieu d’entraînement (structures de musculation, terrains) et un lieu de vie (internat) selon leur devise : « Je me forme, je m’entraîne, je vis ».

Un conflit d’intérêts

Les intérêts des fédérations obnubilées par la performance en compétition et ceux des coordinateurs de l’INSEP qui gèrent la scolarité des sportifs ne font pas toujours bon ménage. Même si les différents tuteurs contactés nous ont assuré que les sportifs n’étaient jamais contraints de trancher entre les deux, la réalité du terrain semble attester du contraire...

Xavier Dallet est responsable de la scolarité de 170 élèves sportifs de haut niveau inscrits à l’INSEP, de 3ème à BTS. Son rôle est de leur permettre de suivre un parcours adapté au regard des exigences du haut niveau. Lorsque nous interrogeons le coordinateur au sujet du double projet, sa réponse est claire : « C'est la marque de fabrique de l’INSEP. Nous sommes l’unique grand établissement du ministère, il est normal que l’institut travaille là-dessus et assure ce rôle de navire amiral du sport français ».

 

 Un statut de double formateur difficile à assumer

Si sur la forme l’INSEP semble décidé à répartir sa formation sportive et scolaire à parts égales, dans la pratique le mécanisme semble plus compliqué à entretenir. En réalité, le centre n’est que l’institution qui met les infrastructures et les professeurs à la disposition des sportifs. Les consignes concernant la planification du calendrier de l’étudiant viennent d’en-haut, non pas du ministère de l’éducation mais du ministère des sports : « La priorité est que l’athlète, lorsqu’il rentre à l'INSEP, puisse effectuer exactement le programme de compétitions fixé par la fédération, et donc pour nous d’organiser ses heures d’étude autour de ses disponibilités, affirme Xavier Dallet avant de poursuivre. Il est très rare qu’on en arrive à demander à une fédération qu’un sportif n’aille pas à une compétition pour rester en cours. Nous partons des demandes des fédérations et nous nous plions à celles-ci.» Difficile alors de garantir l’équité entre les deux domaines.

La hiérarchie semble donc établie de telle sorte que l’étudiant n’ait jamais à se soucier de trancher entre ses cours et son sport. Le problème se pose en revanche lorsque l’étudiant souhaite privilégier ses études.

« Ils ne voulaient pas de moi si j’étais pris en médecine »

Djibril* s’est vu imposer ce choix-là à son entrée à l’INSEP. Il s’inscrit en première année de médecine au moment où sa carrière est sur le point de décoller. Devant sa montée en puissance, la section sport-étude lui propose d’intégrer sa formation. Entrer à l’INSEP semble pour Djibril la meilleure option pour nourrir ses ambitions sportives mais lors des premiers entretiens il comprend que ses études de médecine dérangent les coordinateurs de l’institut : « Au cours des premiers échanges, on m’a demandé où j’en étais niveau médecine et je leur ai répondu que ça suivait son chemin. Là on m’a affirmé que de toute manière, on ne voudrait pas de moi à l’INSEP si j’étais pris dans mon école. En revanche si je n’étais pas retenu et que je voulais me réorienter vers la kinésithérapie là il n’y avait aucun problème. J’ai compris qu’en réalité ils n’acceptaient pas que je puisse faire des choix qui pourraient être préjudiciables pour eux à l’avenir » peste le compétiteur. Le rapatrier vers une formation de kiné, proposée à l’INSEP était en réalité la solution de facilité pour permettre aux coordinateurs d’aménager ses horaires mais surtout d’avoir un droit de regard sur le sportif.

Tiraillé entre sport et études

Dès son entrée au pôle, Djibril se retrouve dans une situation embarrassante lorsqu’au moment de préparer son concours de médecine, ultime tentative pour valider sa troisième première année, l’INSEP lui impose une tournée en Asie : « Je sortais d’une grosse compétition que j’avais plutôt bien réussie et je voulais m’accorder du temps pour réviser mon examen. Sachant que j’avais raté déjà deux mois de cours à cause des compétitions. Sauf que l’INSEP me dit qu’il y a un stage de trois semaines au Japon en décembre. J’avais fait beaucoup de sacrifices pendant trois ans, si je ratais encore un mois, c’était me tirer une balle dans le pied par rapport à mes objectifs scolaires ».

La directrice de l’institut l’appelle alors en personne pour lui faire comprendre qu’il serait renvoyé s’il refusait de partir au Japon. Le choix est cruel : faire une croix sur sa carrière sportive ou tirer un trait sur son avenir en médecine. Coup de chance ou pas, Djibril s’aperçoit lors d’une échographie qu’un tendon de son épaule est partiellement rompu et, blessé, la fédération ne l’envoie finalement pas au pays du soleil levant.

Une expérience du double projet qui laisse aujourd’hui au sportif un goût amer : « Ils sont favorables au double projet qui fera bien pour l’étiquette mais si tu es amené à arrêter tes études, eux ça les importe peu. D’un côté j’avais la fédération qui me freinait pour que je ne fasse pas médecine et que je me concentre à fond sur la compétition, et de l’autre la faculté qui ne voulait pas m’envoyer les cours pour éviter un pseudo favoritisme : donc voilà le double projet en France...j’étais un peu seul dans ma galère », lâche celui qui vise un titre de champion olympique dans sa discipline aux prochains JO de Tokyo en 2020.

*l’intervenant ayant souhaité rester anonyme, nous avons modifié son prénom.

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